Faut quand même le dire, parce que les médias nous rabâchent que la musique est morte. Un amalgame facile et pratique pour les vendeurs de disques mais rassurez vous, si le CD se vend mal, la musique n'a jamais été aussi bien. Mais comment a-t-on pu en arriver là ?
Je lisais dans Trax une interview de JM Jarre (décongelé pour l'occasion) où le bonhomme avait une analyse très juste de la situation en rappelant, je cite, qu'"aujourd'hui il y a juste une crise de l'industrie de la musique, pas de la musique elle même". Pour rappel il a plus de soixante ans et son père était un grand compositeur de musique de films (Maurice Jarre), il a donc eu tout le loisir d'observer la mutation de la consommation et de la production de ce "produit culturel", comme on l'appelle dans la distribution. Produit culturel au même titre que le DVD, le jeu vidéo et le livre. Le livre étant le seul à avoir dans une certaine mesure échappé à un mode de production industriel, encore que.
La distribution du contenu : l'entrepreneur n'a pas de mandat artistique, son rôle est de créer de la richesse.
Or donc, JMJ dit en substance ceci : Le CD, c'est la fin de la musique. Avant on allait chez le disquaire acheter un vinyle. Avec l'arrivée du disque laser, la grande distribution fait de la place dans ses rayons pour un art, un loisir et un produit qui se voit promu au rang de produit de grande consommation.
Mais un produit de grande consommation se doit d'avoir une production régulière et maitrisée, ainsi que des organes de promotions descendants pour promouvoir ses produits (presse, radios).
Une production régulière et maitrisée, ça veut dire que le musicien est un fournisseur, un prestataire pour la maison de disque. L'industrie du jeu vidéo appelle ça un développeur, et la maison de disque (ça c'est un nom sympa) a comme équivalent un éditeur / distributeur (moins cool ça) chargé de promouvoir et distribuer le produit le plus largement possible dans tous les circuits de distribution. Ça fait cru dit comme ça, mais les modèles sont les mêmes. Une production régulière et maitrisée, ça implique aussi la notion de catalogue, avec un mix produit comprenant une offre pour chaque type de public, afin de couvrir une large portion de la demande.
Des organes de promotions descendants, ça veut dire que l'industrie du disque comme toute industrie se doit de préparer la clientèle à l'arrivée de ses produits comme n'importe quelle autre industrie. Elle se fait par le biais de plans média, de programmation de passage en radio en fonction de la tranche d'âge et de la cible ainsi que d'articles dans la presse spécialisée ou non. En peu de mots : Les majors maîtrisent le message, il est à sens unique depuis le producteur vers le consommateur.
Le graphe ci dessous reprend des données du marché anglais qui est comparable au notre, bien que moins prononcées. Il permet de se rendre compte de l'évolution de la proportion de vente des différents produits culturels en rayons. En tant qu'ancien retailer, ce sont des données que j'apprécie et je peux vous assurer que quand on a des objectifs de marge et de rentabilité, ce sont des indicateurs que l'on surveille.
L'avènement d'Internet ou comment le consommateur s'est rapproché du producteur au détriment de l'industrie.
Le support CD accompagné par les fabricants de Hi-Fi crée donc une montée en flèche des chiffres d'affaire des maisons de disque à la fin des 80's et tout au long des 90's. Ces derniers partagent les bénéfices avec les grandes enseignes, tout le monde est content, même le consommateur qui n'a pas conscience de la combine dans laquelle il est embarqué.
Ambiance de fête, soirées fastes avec people et dope à gogo. Les majors rachètent tout ce qui passe dont la quasi totalité des labels indépendants, avant d'atteindre la phase de "maturité du marché" et l'inévitable cortège de rachats / fusions qu'ont connu par la suite le DVD et le jeu vidéo. Tout le monde est très content, l'argent coule à flot, c'est l'âge d'or de la musique de supermarché avec Jordy et la Lambada en tête de gondole.
Puis c'est le drame, Napster apparait grâce à un truc où des hippies disent qu'on peut tout partager. On se souvient des procès dont celui de Metallica (qui ne perd jamais une occasion de descendre dans mon estime). Bon à 56Ko/seconde, l'industrie n'est pas encore en danger, et il lui faudra plus de 10 ans pour prendre la menace au sérieux.
Puis arrive la période des premiers plans sociaux, EMI, Warner Music entre autres y passent. Les ventes s'effondrent, selon le Syndicat National de l'Edition Phonographique ça donne ça :
Ah oui ça nous donne une chute vertigineuse sur 7 ans au niveau français en valeur, sachant qu'en volume la chute a été amortie par la baisse du prix moyen du CD en rayons. La première catégorie à en faire les frais est le CD single, une habille trouvaille marketing qui permet d'avoir un meilleur rapport prix / quantité pour l'industrie. La promotion du DVD musical a quelque peu amorti la chute en représentant la seule catégorie en croissance. On se rend aussi compte du poids de la vente en dématérialisé qui enregistre sa première baisse de régime en 2009. Cette analyse marché est volontairement simplifiée, on pourrait aller plus loin dans le détail d'autant que les ressources sont disponibles en ligne pour qui se donne la peine d'aller les chercher.
Avec Internet, panique aussi sur le plan de la maîtrise de l'opinion, tout le monde peut émettre un avis sur un album, mais aussi le distribuer sur la toile, le produire, ou tout simplement décider d'en ignorer certains en échappant au matraquage.
Ce que fait aussi Internet, c'est de faire voler en éclat le concept de chronologie. Les ados ont accès à toutes les périodes de l'histoire de la musique, ce qui vient enrichir leurs références et fragiliser le concept de nouveauté. Dans un passé récent, l'industrie s'est donc vue déposséder en partie des moyens qu'elle avait mis en œuvre pour écouler sa marchandise.
Autre problème : Quand j'achète un CD, j'en fais quoi ? Comme pas mal de mélomanes, je n'ai plus de chaine Hi-Fi depuis des lustres. Il y a donc inadéquation entre le format et l'équipement du consommateur. Pour s'en persuader, il n'y a qu'à voir la taille du rayon "platine CD" à la FNAC.
L'émergence de nouveaux modèles économiques.
Parallèlement à cette chute de la vente de disque, on assiste à la naissance de nouveaux modèles plus venus des acteurs externes qu'à l'industrie elle même. Dans un premier temps la question majeure demeure : quel modèle économique serait capable de concurrencer l'offre gratuite pléthorique du téléchargement illégal ? On passera sur le feuilleton des DRM (Digital Right Management) ou la vaine tentative de Sony d'imposer son format MP3 maison, l'Attrac 3.
Le problème vient surtout du fait que sur les réseaux peer to peer on trouve tout, sans cloisonnement par maison de disque alors que les deals qui sont signés par les plateformes de téléchargement légal se font major par major. En tant que client je n'ai donc accès qu'à une portion restreinte de l'offre globale, et en plus il faut payer. Dans cette période, les majors essaient de signer des accords qui préserveraient au mieux leur intérêts, ce qui a pour résultat un immobilisme quasi total.
L'arrivée d'Apple et d'iTunes, avec le succès historique de l'iPod, permettra l'arrivée sur le marché du premier distributeur de MP3 crédible. Pourquoi ? Parce qu'Apple a réussi à "créer de la magie" comme on dit en anglais dans le jargon marketing. C'est à dire que la marque a une valeur perçue énorme permettant à l'objet de dépasser son simple statut d'objet pour finir par jouer un rôle social. La notion d'ATAWAD (Any Time AnyWhere Any Device) fait son apparition dans les conférences GFK, institut chargé de quantifier et d'analyser les ventes. Elle signifie que les consommateurs veulent leur contenus disponibles à tout moment, sur tous leurs appareils incluant les mobiles. La chronologie des médias sera rediscutée en 2009 pour l'industrie du cinéma permettant l'exploitation en DVD et VOD 4 mois après la sortie salle au lieu de 6 mois par le passé.
Le MP3 devient donc crédible, et depuis peu le streaming avec parmi eux Spotify ou Deezer par exemple. Pour ne parler que de ce dernier qui commence à être connu du grand public, lancé en 2007 par Jonathan Benassaya un jeune entrepreneur né en 1981, il sera balloté de levées de fonds en procès. Mais à la fin des 3 ans de démarrage, les investisseurs pressés de voir les fruits de leurs investissements confient la direction à un polytechnicien ancien de chez Procter & Gamble.
Les ayants droits sont rétribués grâce à l'abonnement premium (10 000 abonnés en janvier 2010) et la régie publicitaire qui rapportent 700 000 € par mois, mais problème, les frais mensuels à reverser aux ayants droits représentent près du double. Les majors se sont assurés une fois de plus de ne pas laisser une seule plume dans le processus en imposant des conditions commerciales de distributions difficiles à accepter pour des structures modestes. ça passe par un droit d'accès au catalogue prohibitif et payable d'avance.
Pour info, les sites de streaming représentent 11,6% des revenus de la musique en France contre 5% dans le monde. C'est impressionnant, ça commence à devenir significatif.
Il reste toujours la possibilité pour les ayants droits de partir en tournée, ou de faire du merchandising et des produits dérivés, ce qui revient à de l'exploitation de licence. L'industrie du jeu vidéo est aussi un débouché avec des jeux comme Rock Band d'Electronic Arts ou Guitar Hero d'Activision qui permettent en plus des titres inclus dans les jeux de télécharger légalement des titres supplémentaires sur les plateformes de distribution numériques de Playstation et Xbox 360.
Un des enjeux majeurs pour l'industrie du disque est de pouvoir continuer à exploiter un nom de groupe comme une licence, comme c'est le cas en DVD ou jeu vidéo. Un groupe aujourd'hui peut gagner potentiellement plus d'argent sur les produits dérivés qu'en sortant un disque.
La musique se porte très bien, merci.
Le but n'est pas forcément de se demander si tout cela est bon ou mauvais, on ne peut que constater que c'est là.
Plutôt que de criminaliser le consommateur (on ne cherchera même pas à vous convaincre du taux de "pirates" parmi eux), on ferait mieux de se poser les bonnes questions :
Le public désire-t-il soutenir l'industrie ou la musique dans un cadre plus large ?
Le rôle de la maison de disque comme intermédiaire est menacé, comme le serait un grossiste. Doit-on s'émouvoir ?
Est-ce la technologie ou l'industrie qui conditionne la distribution du contenu ?
Pour finir, une donnée annoncée il y a peu :
Les ventes d’albums et compilations de Michaël Jackson ont réalisé 3% du marché musical 2009 en France, soit 1,45 millions d’albums. Une telle concentration du marché ne vous fait pas froid dans le dos ?
Bel article, merci, "je reviendrais vers toi" pour te faire partager mes "inputs" :-)
RépondreSupprimerLe dernier paragraphe veut tout dire, 80% (et je suis gentil) de la zik diffusée sur les radios/tvs en France est inaudible.
D'ailleurs la radio il faut la faire soit même si on veut être sur d'éduquer un tant soi peu les masses, et je sais de quoi je parle.
Éduquer les masses c'est un vaste programme... Je préfèrerais qu'on laisse les gens choisir au lieu de les gaver comme des oies.
RépondreSupprimerSurtout pas malheureux, laisse les choisir et ils se tournent vers de la merde facile a écouter genre black eye peas.
RépondreSupprimerFaut que les gens voyagent, discutent, échangent , soient curieux et surtout leur proposer autre chose que la merde en boite qu'ils subissent en heavy rotation.
Bel exposé Dataichi, j'en sors tout grandi.
RépondreSupprimeren tout cas, on ne peut qu'être d'accord.
Ma conclusion, c'est qu'il faut surtout apprendre aux masses (nos gosses les premiers) à vraiment écouter la musique avec leurs oreilles et non pas avec leurs yeux à coups de promo martelées, ca ne peut (ne doit) plus prendre aujourd'hui. Merci le net de voir que tout ce qui brille n'est qu'un disque d'or..
En fait, vu qu'aujourd'hui faut tout réduire à un pitch, j'ai trouvé une image qui pourrait bien résumer la situation : Si l'industrie des fabricants de mayonaise était en difficulté, tout le monde s'en foutrait. Si elle disparraissait d'ailleurs, ça serait pas si mal, les gens se remettraient à faire leur propre mayo, avec de grande chances qu'elle soit meilleure que ces merdes en tubes :-))
RépondreSupprimerouais mais pour ceux qui ne savent pas faire leur propre mayo, il faut bien des entreprises qui le fassent pour les feignasses, et il y en a plus qu'on ne le croit, surtout que les "masses" sont dans un système d'attente de propositions, 20 ans d'endoctrinement ça laisse des traces.
RépondreSupprimerà mon avis il faudrait plus un équilibre entre majors surpuissantes et locales pour proposer un (des) concept(s) de vente plus juste(s), plus varié(s) où tout le monde trouverait son bonheur.
et puis éduquer les masses, ça veut dire quoi imposer son point de vue dans le but qu'il devienne omniprésent et la seule référence proposée, mouais... j'y crois pas, cela se pire que le système actuel, ou on commence à voir de plus en plus de gens choisir ce qu'ils veulent écouter, il faut juste être patient et le marché s'en sortira tout seul.
vive internet et très bon article, qu'il faut que je relise parce que ça faisait longtemps que j'avais lu autant de ligne d'un bloc, ouais je sais il faudrait peut-être que je me remette à lire un tant soit peu.
Jsuis OK avec toi sur toute la ligne.
RépondreSupprimerOui tu peux te remettre a lire Arnok car comme Simon tu as cité la moitié de ma phrase :P
RépondreSupprimer"d'éduquer un tant soi peu les masses", le un tant soi peu ici a toute son importance.
Il ne s'agit pas de mettre en place un système totalitaire, il s'agit de proposer une alternative aux masses.
A Toulouse n'importe qui se branche sur la FM trouve Campus, FMR, Canal Sud, Mon Pais, n'importe qui peut y trouver des sons diffusés par des passionnés qu'il ne trouvera pas ailleurs.
C'est toujours le cas même après l'avènement du net, comme quoi si ces radios sont encore là l'espoir aussi.
D'ailleurs parlons en du net, en 3 clics tu as accès a grosso modo toute la musique qui a été enregistrée depuis plus de 100 ans, et comme tu le soulignais Arnok, ya un paquet de feignasses qui se suffisent à écouter ce que leur sert NRJ.
Parce que NRJ/M6 et compagnie a dit que c'est du hit music only donc c'est que c'est vrai, en plus jlai entendu mixé en boite samedi dernier donc c'est forcement de la bonne musique.
Les radios associatives créent des souvenirs, les radios commerciales créent de l'oubli.
Il n'y a rien de pire que quelqu'un qui dit "j'écoute un peu de tout", sous prétexte qu'il a écouté nostalgie, neo et rtl2 dans la même journée, ça donne l'impression que la musique n'est pas ,entre autres, une source d'émotions mais plus un passe-temps auditif pour pas que la personne se retrouve dans le silence. (dès fois qu'elle doive penser par elle même)
Tiens ya pas si longtemps suite a une discussion j'ai passé Unorthodox d'Indecision a un collègue fan de rock un peu énervé mais pas un metaleux/hxc pour autant et ca lui a bien plu.
Comme quoi la curiosité, les échanges , le partage, tout ça ca permet d'élargir son horizon
putain t'es sorti en boite???:-)
RépondreSupprimerpardon je réponds demain il est un peu tard et j'ai déjà bu un peu trop de vin là.
Faut pas nous en vouloir, ta formule nous fait réagir ;-) Plus généralement, je crois que t'as bien résumé le truc, les gens "qui écoutent de tout" en général n'écoutent rien. C'est peut être aussi à nous qui sommes passionnés d'accepter cet état de fait, et de "laisser vivre" ces âmes perdues. Et peut-être d'accepter de les voir consommer leur musique comme ils consomment le reste... Nikoxx a raison quand il parle d'éducation.
RépondreSupprimerMalheureusement le fric est un moteur plus puissant que la passion...
Un mois en retard, sorry, et je suis évidemment d'accord avec vous tous sinon ce site ne serait pas dans mes marque-pages, mais tout de même un dernier commentaire à faire...
RépondreSupprimerOn ne peut pas généraliser sur l'expression "j'écoute de tout". je dis ça parce que je me sens concerné. Quand on me pose la question, je réponds souvent "j'écoute un peu de tout" (avec des options au choix : "sauf la daube commerciale / sauf Skyrock / sauf les concerti pour luth et clavecin écrits en 1684 1692, etc. selon l'interlocuteur).
Et de fait, comme vous le savez, j'écoute de tout. Avec curiosité, attention et passion.
Donc bon voilà, ce n'est pas forcément parce qu'on écoute un peu de tout qu'on n'écoute rien. Même si j'adhère au sens de vos propos.
;-)
(promis un petit post sur ma dernière découverte d'ici peu..)
l'exception qui confirme la règle sharkioza :-)
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